Comme seul au monde - LIBRE

Voilà presque dix ans. Dix ans où Rumiñahai arpente les mêmes chemins, broute l'herbe de cette même prairie, s'abrite dans cette même grotte. Un quotidien monotone que jamais il n'a regretté. Une vie paisible. Personne ne le regrette, et il ne regrette personne.
Il se rendait à la source où il avait habitude de s'abreuver.
Il manqua de glisser plusieurs fois en empruntant ce sentier sinueux.
Un grand bruit de chute vint déranger le calme olympien de la forêt vierge et en moins de temps qu'il n'en faut, L'étalon ibérique se trouvait nez à nez avec le lac rocheux.
Une étendue d'eau claire, brillante comme un miroir reflétait la silhouette cendrée de Rumiñahai.
Il s'ébroua et tendit sa puissante encolure pour laper le liquide glacé. Mais avant même de pouvoir y tremper ses lèvres, un craquement venue de l'autre côté de l'étang l'interpella. Il releva brusquement la tête et coucha ses oreilles en arrière.
Mais qui avait eu la mauvaise idée de le déranger dans son territoire par une si belle journée d'automne ?

Rumiñahai était planté devant le lac, les membres parallèles, la tête haute et les oreilles en arrière. Seuls ses épais crins jouaient dans le vent.
Une autre silhouette équine parut dans le paysage. Celle d'une jument. Elle n'avait pas l'air bien dangereuse. Elle n'était pas bien grande et pas très âgée.
Pourtant l'étalon hispanique resta de marbre. Il tapa plusieurs fois le sol en espérant l'intimider.
Une étrange lueur brillait dans ses iris.
Voilà une bien drôle d'invitée, mais il était seul maître de ce territoire. Il espère juste qu'elle n'était pas venue accompagné, ou en éclaireuse.

- « Bonjour »
Une voix douce comme du miel interpella l'Étalon hispanique. C'était celle de son étrange voisine.
Comment fallait-il agir ? Car oui, cela fait maintenant plus de 10 années, 10 année que Rumiñahai n'avait pas eu le moindre contact, humain comme équin.
Il décida d'agir comme elle, il la salua le plus simplement du monde.
- « Bonjours»
Sa figure n'exprimait aucun sentiment et le son de sa voix était froid que le vent frais d'automne.

- « Je m'appelle Ayasha et vous ? »
Ayasha. Quelle drôle de nom. Il faut dire que le sien n'est pas moins compliqué. à L'époque, les poulains de son écurie à Cadix avaient l'habitude de l'appeler Rumi. Mais il n'avait qu'un vague souvenir de ces derniers. C'était du passé et après la terrible épreuve dont ses anciens congénères lui avaient fait subir, il n'avait même plus envie de se souvenir de ses amis équins.
L'inconnue s'approcha. Elle fit un bruit incroyable dans l'eau, à chaque pas montaient bien haut les postérieurs.
L'Étalon cendré avait presque oublier la raison de sa venue, s'abreuver. Il tendit l'encolure et but quelques gorgées du liquide glacé et revint à son interlocutrice. Elle était à présent au milieu du lac.
- « Rumiñahai, je m'appelle Rumiñahai»

- « Enchantée Rumi... Rumiñahai.»
Cette jument était plutôt amicale, elle lui offrait un charmant sourire qui eut l'air d'adoucir l'étalon.
Elle était maintenant à sa hauteur. Il put la regarder sous toutes les coutures. Crins charbonneux extrémités foncées, poil rutilant blond.
Sa crinière jouait dans la brise légère. Rumiñahai prit un ton plus doux.
C'est donc la première fois depuis la fuite de l'Hispanique qu'il rencontre une autre personne de son espèce.
- « Et bien, que me vaut l'honneur de ta visite ?»

- « Hum, aucune raison apparente ? Juste envie de faire des connaissances »

Ainsi Rumiñahai rencontra Ayasha.
Mais l'expression amicale du bel étalon se figea lorsqu'il aperçut les marques de couleurs sur la robe de la jument. Elle avait donc côtoyé des humains . La vue de Rumi se brouilla il retomba il y a fort longtemps, au temps où il résidait encore à Cadix.
Pas de dessins enfantins sur sa croupe, mais la marque d'un fer surmonté d'un croissant presque effacé. Tous les chevaux espagnols étaient marqués de cette manière afin de les distinguer de leur élevage. C'était la seule trace de ces monstres qu'il portait en lui si ce n'est que le gout amer qu'il lui avait laissé.